Catherine Tartanac Pertuy

Michel Louyot Place Stanislas Nancy 2008

Michel Louyot

écrivain

Lorraine

La main aux algues

L’ange de Bucovine….

Nancy intime

Il y eut le clocher sous la neige, les arbres nus au bord de la rivière, les prairies en fleurs, la place et les portes dorées. Il y eut la forêt profonde, les flammes et les ombres, et la tache ineffaçable sur le visage.

Laisser la blessure béer, ne pas s’en détourner, qu’elle s’épanche, que se déverse le sang. Se tenir debout au seuil du précipice, incliner la tête et contempler la bête venimeuse jusqu’à se familiariser avec elle, jusqu’à ce que la nuit bleuisse et qu’émergent les nappes opales de l’aube.

Cela prend du temps, exige de longs tâtonnements. Catherine Tartanac ne craint pas la glissade ni les plongées dans le gouffre. L’artiste a la fibre ligneuse qu’elle tient de l’aïeul ébéniste. Elle fait feu des bois abîmés, rompus, décomposés. Elle n’est pas née pour commémorer mais pour frotter, tracer, forger, mais pour ranimer les clairières fuligineuses.

Certes l’enfant de l’école de Nancy a reçu de précieux dons de son haut lignage. Nicole lui a transmis les premiers linéaments. Le vert Vallin l’a bercée. Mais elle ne saurait se contenter de ramener de la crypte toutes ces coulées de lave. Elle tient à relever le gant, elle essaime, elle excelle dans le liseré et les jointures, et les volets de bois de sa maison, là-bas, s’ouvrent sur des horizons qu’elle réinvente chaque jour.

Trempé dans des huiles gluantes et mêlées de poussières et de pigments, le pinceau mû par la main sûre de la peintre en proie à la fois aux affres du ressac et à la jubilation des retrouvailles s’en va quérir météorites dans le ciel cendré, quêter fossiles au cœur de la montagne flamboyante, quémander  pépites au sein des eaux frémissantes.

C’est ainsi que sourd, suave et violente, l’œuvre, de l’autre côté de la vie, si loin et pourtant si proche des aquarelles jaunies d’Eugène, l’illustre ascendant,

 

et ce, tandis que flotte pareil à une barque blanche dans le soir mystique le corps oblong et paisible de la mère en son linceul diaphane.

2008

A propos de la peinture de Catherine Tartanac

 

Il est bien naturel, lorsqu’on découvre le travail d’un artiste de rechercher à quelle tendance, à quelle « école » il se rattache. Et la tentation est grande, pour le commentateur, de céder à la facilité du rapprochement de l’inconnu avec le connu. S’agissant des toiles de Catherine Tartanac, qui ne cache pas ses enthousiasmes premiers, lors de la découverte de l’œuvre d’Alfred Manessier ou de Zao Wou-Ki, on pourrait parler de la Nouvelle Ecole de Paris, celle des années 1960, celle de la non figuration, de la figuration allusive, de « l’abstraction atmosphérique », comme on l’a dit à propos de Zao Wou-Ki. Ce ne serait pas scandaleusement faux, et pourtant, selon moi, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Si ce rattachement à une tendance largement débordée par l’art d’aujourd’hui et injustement reléguée aux oubliettes par la critique « branchée » avait quelque réalité, nous serions en face d’une œuvre attardée, voire passéiste, juste bonne à orner les salons bourgeois des femmes de goût qui en assurent la décoration. Mais voilà, je crois qu’il faut tenter de penser différemment, de laisser aller son regard avec la naïveté du premier jour, comme l’artiste laisse aller ses pinceaux sur la toile sans s’encombrer d’ « écoles » ou de « tendances », avec la spontanéité de qui a quelque urgence à « dire », et qui le dit. Car si je pense en termes d’appartenance à une Ecole, celle de Paris en l’occurrence – ce qui ne veut pas dire grand chose puisqu’elle a mis sous une étiquette commune des artistes aussi différents que, pour se borner à citer les plus célèbres, les peintres des années 20, les Chagall, Picasso, Modigliani, les artistes russes de l’entre deux guerres (Lanskoy, Poliakoff), ou la « jeune peinture » issue de la guerre, aussi bien figurative (Brayer, Buffet, etc.), que non figurative (Bazaine, de Staël, Manessier, Zao Wou-ki, etc.,etc.) – je pourrais aussi bien nommer plusieurs artistes de l’Ecole de New York, par la prépondérance de la couleur et la liberté de la forme et de l’expression que l’on retrouve chez Catherine Tartanac.

Autant admettre qu’il vaut mieux abandonner cette piste, et tenter de dire ce que l’on voit.

« La matière , j’ai voulu la copier, je n’arrivais pas, mais j’ai été content de moi lorsque j’ai découvert qu’il fallait la représenter par autre chose …par de la couleur. La nature n’est pas en surface, elle est en profondeur. Les couleurs sont l’expression, à cette surface, de cette profondeur, elles montent des racines du monde. », écrivait Cézanne. J’ai le sentiment de ne pas trop m’éloigner ici de l’aventure menée par Catherine Tartanac. La couleur lui sert non à animer la surface de sa toile mais à révéler des profondeurs, des lointains secrets qu’elle découvre en elle. A cela j’ajouterais volontiers un autre élément qui me semble dominer sa recherche : la lumière. La couleur et la lumière. Non la couleur comme lumière, mais la couleur comme émergence de – et parfois comme écran sur – un indéfini lumineux. Cela me fait penser à certaines œuvres de William Turner, celui que l’on a appelé « le peintre de la lumière ». Notamment à la célèbre toile exposée à la National Gallery de Londres, « Pluie, vapeur et vitesse » dans laquelle l’artiste fait jaillir – impose – les noirs et les bruns rouges de la machine et de la voie ferrée dans une évanescence où se dissout le monde naturel, nuées, rivière, paysans aux champs, animaux en fuite… Bien entendu, Catherine Tartanac nous emmène ailleurs. Il ne s’agit pas pour elle de mettre en opposition des univers radicalement différents, ni de dire l’émergence d’une technologie dans un monde noyé dans le flou de la mémoire. Les contrastes de sa peinture ne sont que les variations de ses émotions, les apparitions dans l’infini et l’indéterminé de l’imaginaire de plages colorées qu’elle investit, par l’apport de matières ou le mélange de pigments, pour en tirer les moindres échos, sans s’arrêter à ce que la seule surface lui suggère.

Je voulais, pour finir, parler de liberté, de l’artiste libre de toute appartenance, des contraintes de la technique ou du marché, qui se présente à nous à travers quelques toiles de grand format où elle installe sa propre poésie plastique. Mais parler de sa liberté ne peut se justifier que si l’on parle aussi de ce qui se perçoit peut-être moins aisément à première vue : son inquiétude. Catherine Tartanac interroge sa toile autant qu’elle s’y affirme. Non qu’elle produise une œuvre inquiète. Ce que je veux dire, c’est que pour atteindre la sérénité que nous offre ses toiles, il lui a fallu répondre à de nombreuses questions qui se dressaient devant elle comme autant d’obstacles. Un questionnement que chaque toile parvient à dénouer, mais qui se présente entier à chaque nouveau tableau. C’est cette liberté gagnée de haute lutte qui rend cette œuvre si attachante et si nécessaire.

                                            Marc Netter

Carte postale d’après visite 

  Jean KLEPAL

11 juillet  2019

Située dans un quartier en rénovation, la galerie est vaste et lumineuse. Murs blancs, espace ponctué de panneaux modulables, elle se prête à la mise en valeur des œuvres présentées.

Catherine Tartanac est aujourd’hui l’hôte invitée de Urban Gallery, à Marseille.

 

Entrons.

Sitôt le seuil franchi, une impression d’harmonieuse cohérence, d’accrochage réussi. Des œuvres fortes, puissantes semble-t-il, sont proposées au regard. Les modules structurant l’espace dessinent un labyrinthe propre à des visions inattendues.

Il apparait que nous sommes confrontés à une démarche sérieuse, véritable. Une démarche qui va beaucoup exiger de l’interlocuteur.

Il va falloir prendre son temps pour calmement entrer en relation avec ce travail de peinture. Passant pressé s’abstenir ! Ici n’est pas la bonne adresse !

Tout comme l’artiste dépose du temps sur la toile, le regardeur doit appliquer son regard, lui permettre de cheminer, de comparer, d’apprécier, d’écouter ses impressions, d’accepter les analogies qui se présentent, de les évaluer ; délicieux moments de réflexion, préalables à tout discours.

Le tableau a souvent beaucoup à dire, il faut lui accorder de l’attention. Il faut le respecter. Le silence initial s’impose, il accueille l’inconnu face à lui et les résonances induites.

Ensuite viendront les mots. Ensuite viendra la parole, qui rendra vain le recours aux citations pseudo savantes, souvent requises pour masquer la vacuité du propos.

 

Avançons, au risque du regard.

D’abord un ensemble de lames verticales montrant des présences dissimulées juste de qu’il faut pour inciter le regard. Le sfumato s’impose, il faut parvenir à le dissiper peu à peu pour percevoir au-delà du vaporeux des personnages (danseurs, comedia del arte ?) prêts à entrer en scène dès que retentira le premier coup de cymbales. Une chorégraphie ne demande qu’à se développer. A chacune de l’imaginer. La peinture possède elle aussi son « hors champ ».

La palette est nuancée, le rendu est plutôt atténué, il est au service du sujet. D’un côté comme de l’autre l’obstacle peut être assez aisément franchi.

Voici donc une bonne entrée en matière.

Léger déplacement du regard, un grand format bleu et or nous introduit dans l’univers du rêve, de la méditation et du risque. Shéhérazade savamment dissimulée signale l’Orient, ses contes, sa munificence, sa voluptueuse cruauté. La palette et surtout la touche deviennent charnelles.

Cette toile ouvre sur une série où présences-absences, dissimulations, révélations, épiphanies, mystères, irriguent les diverses propositions. C’est beau, c’est riche, c’est puissant.

Souvent un chaos en premier plan. Des noirs et rouges étincelants, des ors aussi Des jaunes, des verts, des bleus profonds, des couleurs franches.

Des espaces infinis, des histoires humaines minuscules évoquées avec minutie. Des cataclysmes, mais un fond d’espoir, une luminosité, un bleu digne de Tiepolo vient s’opposer aux forces destructrices, que l’on peut contourner.

La noirceur même chatoyante n’est pas fatale. Ne surtout pas s’y abandonner, nous possédons les ressources pour faire face. La lumière est inextinguible.

Message de vérité, de lucidité, mais aussi message d’espoir sous-tendu par une impressionnante énergie.

L’ensemble de ces toiles, souvent fascinantes, fait penser à la richesse de la peinture gothique, avec ses couleurs éclatantes, ses ors somptueux. Il s’agirait alors de possibles prédelles pour un immense retable dédié aux pulsions élémentaires, celles de la Vie.

 

Merci Catherine, j’ai été ému et vivement intéressé.

Une rencontre remarquable

Anne Sophie DELAGOUTTE

4 août 2022

       Une rencontre remarquable

«Un jardin remarquable ». C’est cette perspective qui m’avait conduite, d’abord dans le Jardin Conservatoire des Plantes Tinctoriales de Lauris puis dans la cour du château de cet élégant village perché du Lubéron.

Promesse tenue, à la chaleur écrasante de ce mardi matin d’août près. Un atelier d’artiste m’avait ouvert en grand son portail ombragé et sa fraîcheur fantasmée. Je m’y étais engouffrée avec le bonheur d’une parfaite touriste assoiffée (je n’avais bien évidemment pas emporté de bouteille d’eau !) et avais découvert médusée, les trésors qu’il y recelait.

Des tableaux à profusion.
Des toiles, petites, moyennes, grandes. Rectangulaires, carrées, avec ou sans encadrement ou passe-partout.
Des huiles sur toile ou sur papier.
Posées au sol, sur le bureau, sur une console.
A côté, devant, derrière des étagères remplies de pots de peinture.
À l’endroit, à l’envers. De biais aussi.
Étonnamment, le chevalet était vacant, en attente d’un prochain locataire pr qq heures, quelques jours, quelques mois.
Le tout, entreposé dans un joyeux désordre.

– « Excusez-moi, y en a un peu partout ! Je prépare deux expos ».
Le visage de Catherine Tartanac, installée sur la mezzanine de son atelier, avait émergé de l’écran de son ordinateur.

Je suis tout de suite frappée par la variété des thèmes dans sa peinture – une artiste en constante évolution, en marche me suis-je dit. Par la large palette des couleurs utilisées. Et surtout, je suis happée, fascinée par la profondeur et l’éclat qui se dégagent de ses toiles. Un point, une touche, un trait d’or qui illuminent chacune de ses œuvres, ouvrent l’œil. Cet or m’évoque la technique japonaise du Kintsugi – dorer les fêlures pour les embellir… De quel embellissement s’agit-il ici ? Je laisse la question en suspens, ouverte elle aussi.

Mon œil justement est attiré par la série des silhouettes, comme surgies du ventre de la terre et lancées, é-lancées vers le ciel. Une force, une énergie traversent les personnages, qu’ils soient femmes, hommes ou enfants.

Je m’aventure qq marches plus haut, sur la mezzanine. Catherine y a rassemblé les toiles prêtes à partir pour une exposition dans une petite église d’un village de Bourgogne, autour de la figure de St Christophe.
– « Saint Christophe, c’est celui qui porte ».
L’idée me plaît ; je ne l’avais jamais jusque-là associée à Saint Christophe. Il était pour moi le protecteur de ceux qui utilisent les moyens de trans-port.

L’espace suspendu ouvre sur une autre porte qui elle ouvre sur la vallée de la Durance. Une enfilade de portes ouvertes en grand, de bas vers le haut, qui ouvrent l’imaginaire. A l’infini.

Nous ns découvrons au détour de la conversation, des origines communes – Nancy et sa proche périphérie. Nous échangeons nos coordonnées.

Sur le chemin du retour à mon hôtel, je repense à cette rencontre, inattendue, remarquable elle aussi. Prémices à d’autres peut-être.

 

 

« Saint Christophe, à Portée de l’Invisible »

                           Cathédrale Saint-Maurice

                                VIENNE

 

                  Anne Sophie DELAGOUTTE

septembre 2023

L’invisible, à portée de main. L’occasion était trop belle pour la manquer. J’avais de plus, déjà entraperçu une partie des toiles, en attente dans l’atelier de Catherine. Elles m’avaient saisie, portée, emportée, dès le premier regard. Un coup de foudre picturo-spirituel. J’en voulais… encore.

 

J’avais compulsé mon agenda. Vienne n’est pas une ville à portée de main, ni même à portée de pied. Elle suppose un minimum d’organisation. Mais quand on aime, on ne compte pas.

 

Nancy–Paris/Paris–Lyon/Lyon–Vienne. Une expédition, un pèlerinage.  Le temps idéal pour préparer son cœur, son âme, ses sens, à la rencontre avec le Saint Homme. Du point de vue d’une femme, d’une femme artiste.

 

Vienne, une bourgade parfaitement inconnue pour moi. Réduite à son péage sur la route des vacances, avant ou après l’épique traversée de Lyon.

Vienne, une ville de province. Modeste, charmante. Accueillante dès le premier pas posé sur le quai de gare. Un dédale de ruelles, étroites, colorées, animées. Un air d’Italie, bien en amont des frontières.

Vienne, une douceur de vivre qui m’appelle et me porte jusqu’à la cathédrale Saint-Maurice. Fière, imposante. Je marque un temps d’arrêt, interdite. Surprise par tant de majesté.

 

Je pousse la porte de la bâtisse. Elle résiste, teste mon désir d’entrer, de voir, d’aller y voir… La nef centrale, immense, me happe, m’aspire, guide mes pas. Un long et large passage jusqu’au chœur, ponctuée de piliers massifs.

Entre eux, des croix en lévitation. Un chemin de croix suspendu plutôt. Force et légèreté, douceur et détermination se mêlent et s’emmêlent. Un nouage de vents contraires. Intime, puissant. Je vacille.

 

 

Je remonte la nef. Lentement. Avec prudence. Je pressens l’emportement émotionnel, le vertige au bout des câbles.

Une toile, une station. Fascination, émotion.

Touchée-coulée. La bataille est au-dedans.

Un chemin invisible, entre le ciel et la terre, le divin et l’humain.

Une beauté qui ne peut se dire, descendue du ciel.

 

Sur la toile, l’Invisible se fait chair.

Saint Christophe, auréolé d’une pluie d’or.

Saint Christophe, celui qui porte, qui passe.

Sur ses épaules, un enfant, confiant, serein. Il sait qu’il sera conduit en lieu sûr, de l’autre côté du gué.

Dans ses bras, une femme, apaisée, alanguie. Les yeux mi-clos, elle regarde au loin, de l’autre côté.

 

Saint Christophe, le colosse à la force tranquille.

Dans ses bras, le poids se fait plume, seule la mission compte : porter, transporter.

De l’autre côté, ailleurs.

Le temps se fige en un présent qui ne cesse pas de se peindre.

La grâce de l’instant m’enveloppe et me porte. Loin. Au-delà. Vers l’infini.

Je m’incline.